ProgJazz (CL)

LLIBRE VERMELL revisitat - album
Sandrine Rohrmoser : Chant, percussions
Thierry Zaboitzeff : Tous les instruments
Chronique par Claudio - 08.07.2025

THIERRY ZABOITZEFF ET « LLIBRE VERMELL REVISITAT » : UNE INVITATION AU MOYEN ÂGE

En avril 2004, Thierry Zaboitzeff, figure talentueuse de l'avant-garde française, mieux connu pour avoir été un membre clé d'Art Zoyd, que nous avons interviewé ici, et la chanteuse Sandrine Rohrmoser ont donné un spectacle particulier au Schauspielhaus de Salzbourg, interprétant une série de pièces médiévales connues sous le nom de Llibre Vermell de Montserrat. Il s'agit d'un célèbre manuscrit du XIVe siècle, sauvé d'un incendie au monastère de Montserrat en Espagne en 1811.

Aujourd'hui, plus de six siècles plus tard, Zaboitzeff revisite ce recueil de chants sacrés avec une perspective moderne et expérimentale, comblant le fossé temporel entre le Moyen Âge et le présent.

Nous devons nous arrêter un instant sur l'histoire pour expliquer ce qu'est le « Llibre Vermell ».

Le Llibre Vermell de Montserrat, ou en français « Le Livre rouge de Montserrat », est l'un des trésors musicaux les plus importants du Moyen Âge ibérique. Compilé vers 1399 par les moines du monastère catalan de Montserrat, le codex rassemble des chants et des danses destinés à divertir pieusement les nombreux pèlerins qui venaient vénérer la Vierge noire de Montserrat. Son surnom de « Livre rouge » vient de la reliure en velours rouge qui lui a été ajoutée au XIXe siècle.

Dix chansons ont survécu jusqu'à aujourd'hui : des morceaux anonymes à caractère religieux qui combinent des éléments d'hymnes et de chansons populaires, certains monodiques et d'autres polyphoniques, et même des canons ou des rondes à chanter en cercle. Ce sont des compositions aux mélodies simples, avec des rythmes de danse, conçues pour que la ferveur ne faiblisse pas pendant les longues nuits de veille.

À titre d'exemple, des morceaux tels que Stella Splendens, Los Set Goyts ou Ad Mortem Festinamus invitent à la fois à la dévotion et au mouvement.

Il n'est pas surprenant que ce répertoire ait connu une seconde vie à l'époque moderne, interprété par des ensembles de musique ancienne de renom (comme Jordi Savall avec Hespèrion XX en 1978) et devenant l'un des recueils de chansons médiévales les plus enregistrés et les plus étudiés.

En avril 2025, Zaboitzeff a décidé de récupérer les enregistrements de ce concert de 2004 et de les remasteriser grâce aux nouvelles technologies disponibles. Le résultat a vu le jour quelques semaines avant la rédaction de ces lignes sous le titre « Llibre Vermell revisitat », un ouvrage qui réinterprète ces anciennes mélodies avec la liberté créative caractéristique de l'avant-garde.

Zaboitzeff s'approprie ce matériel médiéval et le fusionne avec son propre univers sonore, où convergent la musique rituelle ethnique, l'électronique et l'expérimentation contemporaine. Les chants du monastère se parent de nouveaux timbres et d'atmosphères inattendues, où, loin d'une interprétation historiciste puriste, Zaboitzeff élargit l'horizon du Llibre Vermell sans trahir son essence, en conservant les paroles originales dans leurs trois langues médiévales et en préservant l'esprit double de ces pièces, sacrées mais dansantes, qui fascinent encore aujourd'hui les historiens.

Sur le plan instrumental, l'album est pratiquement un grand solo de Zaboitzeff accompagné par la voix de Rohrmoser. Thierry déploie tout son arsenal : il joue du violoncelle, de la basse électrique, des guitares, des claviers, des samplers et des percussions, construisant des couches qui vont de l'intime à l'épique.

Sur cette base, sa voix apporte un contraste dramatique : dans certains passages, il récite d'une voix grave, presque un grognement guttural qui ne détonnerait pas sur un album de Death Metal, et dans d'autres, il ajoute des lignes mélodiques positivement sinistres. À ses côtés, Sandrine Rohrmoser, mezzo-soprano, brille autant dans l'interprétation de chants liturgiques que dans l'incorporation d'excentricités vocales. Elle apporte des tournures improvisées, humoristiques, voire bizarres, qui rompent parfois la solennité pour nous rappeler le caractère festif de ces danses médiévales.

Sa gamme expressive est remarquable : il peut évoquer la pureté du chant grégorien ou renaissance, puis passer à des registres d'intensité romantique ou de pure expérimentation vocale, selon les besoins de chaque morceau.
Cette double dynamique vocale – la gravité et le caractère terrestre de Zaboitzeff face à la souplesse et la hauteur de Rohrmoser – confère à l'œuvre une théâtralité fascinante, comme si nous étions face à une petite troupe dramatique recréant un ancien rituel avec un regard contemporain.

Voyage dans les églises du XVe siècle
« Llibre Vermell revisitat » conserve la structure fondamentale des compositions originales ; ses mélodies modales très anciennes pourraient être reconnues instantanément par tout amateur d'histoire du Moyen Âge, mais elles sont entourées d'une palette sonore purement avant-gardiste.
Dans des morceaux comme « O Virgo Splendens » ou « Mariam Matrem », la base rythmique peut provenir de percussions de style tribal ou de boucles électroniques minimalistes, tandis que le violoncelle trace des bourdons sombres qui rappellent à la fois la musique sacrée et le rock expérimental. Les chœurs monodiques sont enrichis d'harmonisations audacieuses ou d'effets ambiants, comme s'il s'agissait de musique de chambre pseudo-cinématographique.
Un autre moment fort de l'album est « Ad Mortem Festinamus », dont la signification « Nous nous précipitons vers la mort » prend un nouveau sens dans cette version. Ici, le duo réalise une fusion aussi étrange qu'impressionnante entre folklore médiéval, rock progressif et rituel païen, avec des résultats très intéressants pour l'oreille.
L'introduction rythmique invite à une danse frénétique, mais l'harmonie dissonante et les tournures vocales inhabituelles emmènent le morceau vers des territoires inédits, soulignant à la fois la morbidité et l'énergie vitale qui coexistent dans le texte. C'est comme si, dans cette interprétation, le Moyen Âge rencontrait la modernité sans perdre son mystère.
À la fin de l'écoute de cet album, il est inévitable pour cet éditeur d'établir des comparaisons et des références. Le mélange des éléments rappelle l'esthétique d'Art Zoyd, en particulier dans l'incorporation de sons issus de la musique savante contemporaine. Ceux qui apprécient les atmosphères sombres et expérimentales d'Art Zoyd se sentiront chez eux avec ce « Llibre Vermell ».
D'autre part, la touche ludique et performative de certains passages peut évoquer des projets avant-gardistes comme Art Bears de Fred Frith, Chris Cutler et Dagmar Krause, bien que le ton soit ici peut-être plus détendu que dans ces propositions ultra sérieuses.

Une révision qui vaut le détour
On pourrait situer ce travail dans la lignée de certaines explorations de la musique ancienne fusionnée avec la mal nommée world music, rappelant par moments des groupes comme Dead Can Dance dans leur facette médiévale, ou même des initiatives d'ensembles comme Sarband qui réinterprètent des chants anciens avec des arrangements contemporains. Tout cela sans oublier la longue influence d'Art Zoyd.

Cependant, Zaboitzeff parvient à donner à « Llibre Vermell revisitat » une personnalité qui lui est propre. Il ne s'agit ni d'un concert de musique ancienne comme s'il s'agissait de cosplayers, ni simplement d'un album d'avant-garde ou d'une sorte de proggy médiéval, mais d'un véritable croisement entre les époques et les styles, sans étiquette propre.
En fermant les yeux, tandis que résonnent ces anciens vers latins sur des bases électroniques et des violoncelles distordus, on peut presque imaginer les pèlerins de Montserrat dansant sous les étoiles, surpris et extasiés, tout comme nous, par l'audace de ce type de musique.
Une musique réservée à ceux qui aiment se plonger dans des eaux vraiment inconnues.
Si l'album en question vous a plu, nous vous suggérons de l'acheter sur Bandcamp (il ne coûte que 10 euros), car cette plateforme est plus équitable avec les artistes que les plateformes de streaming classiques, ou, à défaut, de vous procurer la copie physique dans votre magasin de disques habituel.

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